Paru en 2006, ce rapport de la FAO dresse un vaste bilan des impacts de l’élevage sur l’environnement. Il décrit l’élevage de ruminants comme une menace majeure et une importante source de gaz à effet de serre, et aura un fort effet de cadrage des débats.
Livestock’s Long Shadow
L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) est un organisme des Nations unies qui se consacre à la lutte contre la faim dans le monde. En 2006, alors que l’impact du secteur de l’élevage sur l’environnement est encore largement ignoré, elle publie le rapport « Livestock’s Long Shadow. Environmental issues and options » 1 qui vise à évaluer les impacts environnementaux directs et indirects 2 des produits d’origine animale, en particulier ceux issus de l’élevage de ruminants, ainsi que les approches techniques et règlementaires pour les atténuer.
À sa sortie, cet imposant rapport de près de 400 pages fait l’effet d’une bombe et bénéficie d’une importante couverture médiatique. C’est la première fois qu’une institution internationale reconnaît aussi clairement que l’industrie de l’élevage contribue de manière significative à la dégradation du climat. Dans le communiqué de presse, l’auteur principal, Henning Steinfeld, déclare que l’élevage de bétail est « l’un des principaux responsables des problèmes environnementaux les plus graves d’aujourd’hui » et qu’« une action urgente est nécessaire pour remédier à la situation » 3.
Chiffres clés
Le rapport contient des chiffres qui seront abondamment repris, en tête desquels la part des émissions de gaz à effet de serre mondiaux attribuables à l’élevage, établie à 18 %, « une part plus élevée que celle des transports » 4. Le rapport indique également que « le bétail est de loin le plus grand utilisateur anthropique de terres » et que « au total, le bétail représente 70 % de l’ensemble des terres agricoles et 30 % de la surface terrestre de la planète » 5.
D’autres chiffres serviront d’appuis à de nombreuses campagnes d’informations en faveur de la cause animale 6, ces dernières pointant l’inefficacité environnementale et alimentaire de l’élevage comparée aux bénéfices d’une alimentation végétalisée. Le rapport quantifie les externalités négatives de l’industrie de la viande (37% des émissions de méthane, 65% des émissions d’oxyde nitreux, 64% des émissions d’ammoniac, etc.) et conclut qu’à l’échelle mondiale l’élevage dans son ensemble est l’une des principales sources de gaz à effet de serre et l’un des principaux facteurs de déforestation, de perte de biodiversité et de pollution de l’eau.
Ces dommages climatiques et environnementaux sont mis en balance avec les enjeux de sécurité alimentaire et le rôle économique et social de l’élevage, particulièrement dans les pays en développement, mais le message central reste que la contribution de l’élevage aux problèmes environnementaux nécessite une prise de conscience urgente, tant par les politiques que par le grand public.
Enfin, le rapport mentionne (timidement) la progression du végétarisme dans les pays développés, et plus généralement la tendance à des régimes alimentaires plus sains, dans sa liste d’actions favorables à un élevage plus durable 7.
Tackling Climate Change Through Livestock
La publication de ce rapport a suscité un certain nombre de controverses scientifiques et, surtout, de fortes actions de lobbying menées par l’industrie de l’élevage 8.
Le 10 décembre 2013, la FAO a publié un nouveau rapport, « Tackling Climate Change through Livestock » 9 avec une approche renouvelée et des calculs fondés sur des données plus précises.
En matière de chiffres, la FAO établit cette fois à 14,5 % la contribution de l’élevage dans les émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique, dont 8,8 % pour les seuls bovins. Ce sont encore les chiffres de référence aujourd’hui.
En matière d’approche, l’élevage est désormais présenté comme un secteur potentiellement bénéfique pour l’environnement. Le titre lui-même (Lutter contre le changement climatique grâce à l’élevage) reflète l’abandon de la responsabilité de l’industrie de l’élevage au profit de l’idée qu’elle offre un moyen de résoudre la crise climatique. Sans surprise, parmi les solutions possibles à mettre en œuvre, toute mention du végétarisme a disparue.
L’avenir des interactions entre l’élevage et l’environnement dépendra de la manière dont nous parviendrons à concilier deux demandes contradictoires : en produits alimentaires d’origine animale d’une part, et en services environnementaux d’autre part.
FAO, Livestock’s Long Shadow, Summary and conclusions, 2006 10.
Consulter le rapport « Livestock’s Long Shadow » de la FAO.
Notes et références
- FAO; Steinfeld, H.; Gerber, P.; Wassenaar, T.; Castel, V.; Rosales, M.; de Haan, C., 2006. Livestock Long Shadow. Environmental issues and options. Rome, Italy:FAO, 390 p. [archive]
- Ceux liés à la production de nourriture pour les animaux : déforestation, utilisation d’engrais, etc.
- FAO newsroom, Livestock a major threat to environment, 29 November 2006, Rome – Which causes more greenhouse gas emissions, rearing cattle or driving cars?
- FAO, Livestock’s Long Shadow, Summary and conclusions, 2006, Executive summary, Atmosphere and climate, p. xxi. Texte original : « The livestock sector is a major player, responsible for 18 percent of greenhouse gas emissions measured in CO2 equivalent. This is a higher share than transport ».
- FAO, Livestock’s Long Shadow, Summary and conclusions, 2006, Executive summary, Land degradation, p. xxi. Texte original : « The livestock sector is by far the single largest anthropogenic user of land. The total area occupied by grazing is equivalent to 26 percent of the ice-free terrestrial surface of the planet. In addition, the total area dedicated to feedcrop production amounts to 33 percent of the total arable land. In all, livestock production accounts for 70 percent of all agricultural land and 30 percent of the land surface of the planet ».
- Ce rapport de la FAO est par exemple fréquemment cité dans le documentaire Cowspiracy sorti en 2014.
- FAO, Livestock’s Long Shadow, Summary and conclusions, 2006, 7.2 What needs to be done?, Consumers may drive change towards a sustainable livestock sector, p. 276. « The development of markets for organic products and other forms of eco-labelling are precursors of this trend, as are the tendency towards vegetarianism within developed countries and the trend towards healthier diets ».
- Ce lobbying s’est révélé particulièrement efficace, impactant même les rapports du GIEC. Quartz, The meat industry blocked the IPCC’s attempt to recommend a plant-based diet, 24 mars 2023.
- FAO, Tackling Climate Change through Livestock A global assessment of emissions and mitigation opportunities, 2013.
- Texte original : « The future of the livestock-environment interface will be shaped by how we resolve the balance of two competing demands: for animal food products on the one hand and for environmental services on the other ».