Le carnisme est l’idéologie dominante soutenant le choix de consommer de la viande sans nécessité. Six ans après une thèse de doctorat consacrée à la psychologie du carnisme, Melanie Joy publie ce livre pour démocratiser ses recherches.
Le carnisme
Melanie Joy est une psychologue sociale [1] et militante en faveur des droits des animaux. Elle met au point le terme « carnisme » en 2001 dans un article du journal Satya avant de développer le concept en 2003 dans sa thèse de doctorat [2]. En 2009, elle publie le livre « Introduction au carnisme : pourquoi aimer les chiens, manger les cochons et se vêtir de vaches » avec l’objectif de toucher un plus large public.
Tout commence par le constat que nous traitons les animaux très différemment selon qu’il s’agisse, par exemple, d’un chien ou d’un cochon. Le premier sera aimé, soigné et protégé, alors que le second sera enfermé, exploité et tué. Le premier sera vu comme un individu à part entière, le second comme une ressource à notre disposition.
En s’interrogeant sur ce qui fait que certains animaux nous tiennent compagnie tandis que d’autres nous servent de chaussures ou de plat de résistance, Melanie Joy s’attache à montrer en quoi cette différence de traitement n’est pas une réalité qui s’impose à nous, mais bien une construction sociale, un choix de société.
Un choix de consommation
En montrant que manger de la viande n’est pas une pratique qui va de soi (« normale, naturelle et nécessaire ») mais bien un choix influencé par le conditionnement social, Melanie Joy lève le voile sur des mécanismes sociaux et psychologiques puissants à l’œuvre derrière nos choix de consommation.
Bien que non nécessaire à la santé, l’hégémonie de la consommation de produits d’origine animale invisibilise, voire nie, l’existence des alternatives. Pourtant, au même titre que les personnes végétariennes et véganes font le choix de ne pas consommer de viande, les carnistes (c’est-à-dire tous les autres) font le choix d’en consommer.
En mettant en avant l’incohérence des traitements accordés aux différents animaux, pourtant tous capable de ressentir la souffrance et la joie, Melanie Joy révèle que nos pratiques sont régies par l’arbitraire et les croyances. Le carnisme « cherche à nommer une idéologie qui brouille la perception morale de la violence vécue par les animaux » [3].
Une idéologie
Une idéologie consiste en un ensemble partagé de croyances et dans les pratiques qui reflètent ces croyances. Le carnisme est cette idéologie qui nous conditionne à manger certains animaux et qui, dans un mouvement d’allers-retours, s’auto-justifie par l’observation de l’appétit carné qu’elle engendre, légitime et perpétue [4].
Les humains accordent de la valeur à la compassion, à la réciprocité et à la justice. Le carnisme vient apporter le contrepoids nécessaire pour ne pas remettre en cause la consommation de viande, pourtant contraire à ces valeurs. Selon Melanie Joy, pour continuer à manger des animaux, les gens se livrent à une « anesthésie psychique » (psychic numbing), qui altère la perception de leur comportement envers les animaux, et utilisent des mécanismes de défense pour faire barrage à leur empathie.
Ces mécanismes peuvent être catégorisés comme suit :
- le carnisme nie l’existence d’un problème de violence lié à la consommation d’animaux ;
- le carnisme justifie la consommation de viande comme étant normale, naturelle et nécessaire (les « 3 N ») ;
- pour éviter la dissonance cognitive, le carnisme modifie la perception des animaux en tant qu’individus pour en faire des objets alimentaires, des abstractions et des catégories.
Le carnisme conduit les gens à nier certaines de leurs valeurs fondamentales. Melanie Joy appelle à prendre conscience des croyances et mécanismes de conditionnements sur lesquels il repose pour mieux s’en libérer.
Le carnisme est le paradigme dominant, mais invisible, de la culture moderne qui justifie le choix de consommer de la viande. Le carnisme est un système de croyances au sens social, psychologique et physique.
Melanie Joy, Introduction au carnisme : pourquoi aimer les chiens, manger les cochons et se vêtir de vaches, 2009
Notes et références
↵1 | La psychologie sociale s’intéresse aux processus mentaux impliqués dans les comportements humains liés aux interactions sociales. |
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↵2 | Melanie Joy, Psychic numbing and meat consumption : the psychology of carnism, 2003. |
↵3 | Élise Desaulniers et Martin Gibert, « Le Carnisme », dans Renan Larue (direction), La pensée végane, 50 regards sur la condition animale, 2020, Puf. |
↵4 | Estiva Reus, Melanie Joy – Carnisme, les Cahiers antispécistes n°33, novembre 2010 . |