À la fin du 19e siècle, le mouvement végétarien commence à peine à se structurer en France. La première association végétarienne avait été créé à la fin des années 1870 par Thomas Richardson à Nice et rassemblait plusieurs médecins qui mettaient en avant les bénéfices pour la santé d’une végétalisation de son alimentation [1]. En 1880, un autre médecin, Abel Hureau de Villeneuve, fonde la Société Végétarienne de Paris [2][3] et publie, en avril, le premier numéro de la revue La Réforme Alimentaire [4].
En 1882, la Société Végétarienne de Paris est dissoute et relancée sous le nom de Société Végétarienne de France dans le but de « propager le végétarisme et de faire valoir les avantages de tout ordre qu’il présente » [5]. Le Dr. Goyard en assure la présidence et le Dr. Aderboldt l’exécutif.
En 1906, la Société végétarienne de France compte 800 membres et oriente ses actions vers le grand public avec la diffusion de revues, de tracts et de brochures ainsi que par l’organisation de conférences. En 1909, la Société déclare compter 1175 membres. La publication de La Réforme Alimentaire dure jusqu’en 1914 [6], elle éditera ensuite le Bulletin de la Société végétarienne de France de 1916 à 1920 [7].
La Société végétarienne de France décline ensuite progressivement, mais d’autres groupes de réforme alimentaire favorables au végétarisme (et au végétalisme) continueront à diffuser une importante production intellectuelle, à commencer par les anarchistes.
En effet, particularité française, le végétarisme n’est à l’époque pas seulement lié au mouvement de tempérance [8] ou a des considérations médicales, mais également à l’anarchisme [9]. C’est d’ailleurs dans La Réforme Alimentaire que le militant et théoricien anarchiste Elisée Reclus publie, en 1901, sa tribune Le Végétarisme dans laquelle il présente l’élevage comme inhumain et son abolition comme une conséquence logique de notre évolution.
Emmené par Émile Gravelle, le mouvement anarchiste libertaire « naturien » de la fin du 19e et du début du 20e siècle critiquait la société, son industrialisation, son urbanisation, etc. et prônait le retour à une vie naturelle non pervertie [10]. En plus de contribuer à poser les bases de la décroissance, certains naturiens (dont Georges Butaud, sa compagne Sophia Zaïkowska [11], Louis Rimbault et Henry Le Fèvre) prirent également position contre l’alimentation carnée et le sort fait aux animaux, prônant le végétarisme comme base de la réforme de la société. Si Émile Gravelle pouvait considérer le végétarisme comme un « excès de sensibilité à propos de la souffrance provoquée par la mort brutale des animaux« , Georges Butaud affirmait que le végétalisme est « la grande transformation qui rénovera le monde et que c’est d’elle seule que l’on peut attendre les [autres] transformations rêvées » [12]. Diverses revues de sensibilité naturienne ont publié des articles traitant du végétarisme : Le Végétalien, Le Néovégétalien, L’État naturel, La Nouvelle humanité, La Vie naturelle, Le Flambeau, Le Néo-naturien, Le Naturien, etc. Même l’organe officiel de l’Union Anarchiste, Le Libertaire, à ouvert ses pages à des débats sur le sujet [13].
Notes et références
↵1 | International Vegetarian Union (IVU), History of the French Vegetarian Societies, consulté le 23 septembre 2021 |
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↵2 | Ceri Crossley, Consumable Metaphors: Attitudes towards Animals and Vegetarianism in Nineteenth-Century France, 2005, Peter Lang, pp. 241-243, ISBN 9783039101900 |
↵3 | Margaret. Puskar-Pasewicz, Cultural Encyclopedia of Vegetarianism, 2010, Greenwood Publishing Group, p. 108, ISBN 9780313375569 |
↵4, ↵5, ↵7 | BnF Data, Société végétarienne de France, consulté le 23 septembre 2021 |
↵6 | Alexander Fenton, Order and Disorder: The Health Implications of Eating and Drinking in the Nineteenth and Twentieth Centuries, 2000, Tuckwell Press, pp. 209-226, ISBN 9781862321175 |
↵8 | La tempérance désignait un important mouvement social-religieux contre la consommation de boissons alcoolisées. Initialement issu des églises réformées, puis repris par l’Église catholique, le mouvement incitait la population à contrôler sa sommation d’alcool. Bien qu’une consommation modérée soit prônée dans un premier temps, les revendications évoluent jusqu’à exiger l’abstinence totale, ce qui débouchera dans certains pays sur des politiques de prohibition. |
↵9, ↵13 | Association Végétarienne de France, Les Cahiers, Cahier N° 2, Éléments d’histoire du végétarisme en France, 2008 |
↵10 | Revues Sauvages, Redécouvrir le « sauvage » à la fin du XIXe siècle. L’expérience des anarchistes naturiens, 2020, consulté le 23 septembre 2020 |
↵11 | Dans Le Végétalien n° 8 de juin-juillet 1925, Sophia Zaïkowska et Georges Butaud mobilisent déjà l’idée de viser le bien-être de toute la communauté des êtres sensibles (« toute bête a son instinct, et l’homme a son génie, qu’il doit utiliser pour son propre bien, conforme à celui de son espèce et des autres êtres sensibles« ). Dans l’Encyclopédie Anarchiste, dirigée par Sébastien Faure et publiée en 1934, Sophia Zaïkowska rédige l’article « Végétalisme« , où elle revient sur le fait que plus on mène une vie simple, plus on est libre, et donc plus fort face à l’oppression. |
↵12 | Georges Butaud, Avant-propos, Le Végétalien, n°9, 1927 |