13 janvier 1968 – Publication de la nouvelle « The Letter Writer » de Isaac Bashevis Singer dans le New Yorker

1950 – 1974, Culture, États-Unis, Livres

Isaac Bashevis Singer était un auteur yiddish, lauréat du prix Nobel de littérature. Meurtri par les crimes du nazisme, il fut le premier à faire le rapprochement entre l’extermination perpétuelle des animaux d’élevage et celui des Juifs pendant la Shoah.

Isaac Bashevis Singer

Isaac Bashevis Singer était un écrivain juif polonais né en juillet 1904 à Leoncin sur le territoire polonais sous occupation russe et décédé le 24 juillet 1991 à Surfside en Floride aux États-Unis. Auteur de romans en yiddish 1, il est lauréat du prix Nobel de littérature en 1978 pour « son art de conteur enthousiaste qui prend racine dans la culture et les traditions judéo-polonaises et redonne son universalité à la condition humaine » 2.

Auteur prolifique profondément marqué par les crimes du nazisme 3, ardent défenseur du végétarisme et du droit des animaux à vivre « en paix », Isaac Bashevis Singer a consacré la plupart de ses écrits à des survivants de l’Holocauste, dont les récits détaillés révèlent certains des mécanismes qui ont rendu possible le génocide juif et qu’on retrouve à l’œuvre dans toutes les exploitations et massacres, y compris celui des animaux.

En 2002, l’historien américain Charles Patterson publie le livre « Eternal Treblinka: Our Treatment of Animals and the Holocaust » (Un éternel Treblinka : notre traitement des animaux et l’Holocauste) qui lui est dédié.

The Letter Writer

Publié pour la première fois dans l’édition du 13 janvier 1968 du New Yorker 4 puis la même année dans dans le recueil « The Seance and Other Stories », « The Letter Writer » (L’homme qui écrivait des lettres 5) est une nouvelle qui raconte l’histoire d’Herman Gombiner, réfugié juif dont toute la famille a été tuée par les nazis. Lorsque la maison d’édition juive où il travaille est fermée, Herman s’enfonce dans la maladie et ne quitte presque plus son petit appartement qu’il partage avec une souris baptisée Huldah.

Herman est végétarien et, dans un passage resté célèbre, l’oraison funèbre d’Huldah, il fait le parallèle entre les rapports qu’entretiennent victimes et bourreaux dans un abattoir et dans le camp d’extermination de Treblinka 6, deux systèmes de mise à mort dont l’existence a été (et est encore dans le cas de l’exploitation animale) justifiée par un ensemble de croyances dont la clé de voûte est la conviction d’un droit « naturel » à une domination totale sur autrui.

La Shoah a vu émerger l’impératif moral « Plus jamais ça », et avec lui les réflexions sur les racines de cette violence pour en prévenir toutes les expressions. Mais que contient cette promesse ? Par qui doit-elle être tenue ? A quoi ce « ça » se réfère-t-il ? 7

La comparaison entre l’extermination des Juifs et celle, ininterrompue, des animaux d’élevage 8 pose la question douloureuse de la cohérence de notre perception des massacres de masse et des systèmes industriels de mise à mort : effroyables lorsque nous en sommes les victimes, acceptables lorsque nous en sommes les bénéficiaires.

En pensée, Herman prononça l’oraison funèbre de la souris qui avait partagé une partie de sa vie avec lui et qui, à cause de lui, avait quitté ce monde. « Que savent-ils, tous ces érudits, tous ces philosophes, tous les dirigeants de la planète, que savent-ils de quelqu’un comme toi ? Ils se sont persuadés que l’Homme, l’espèce la plus pécheresse d’entre toutes, est au sommet de la création. Que toutes les autres créatures n’auraient été créées que pour lui procurer de la nourriture, des peaux, pour être martyrisées, exterminées. Pour ces créatures, tous les humains sont des nazis ; pour les animaux, c’est un éternel Treblinka ».

Isaac Bashevis Singer, The Letter Writer, 1968 9

Notes et références

  1. Une langue dérivée de l’allemand, avec un apport de vocabulaire hébreu et slave, qui a été largement utilisée par les communautés juives d’Europe centrale et orientale (ashkénazes) à partir du Moyen Âge et jusqu’à la seconde guerre mondiale.
  2. The Nobel Foundation, The Nobel Prize in Literature 1978.
  3. Face à la montée du nazisme, Isaac Bashevis Singer a dû émigrer aux États-Unis en 1935. Sa mère et plusieurs membres de sa famille, restés en Pologne, seront tués dans les camps de concentration.
  4. The New Yorker, The Letter Writer.
  5. Isaac B. Singer, « L’homme qui écrivait des lettres », Le beau monsieur de Cracovie et autres nouvelles, Le livre de poche, pp. 999-1045, ISBN 2-234-01853-6.
  6. Le centre d’extermination de Treblinka est l’un des centres d’extermination nazis de l’Aktion Reinhard, à 80 km au nord-est de Varsovie.
  7. Le Monde, « Plus jamais ça » : l’histoire d’un impératif moral né après la Shoah, 2025.
  8. Et plus tard aux tueries systématiques au Rwanda, au Darfour, etc.
  9. Texte original : In his thoughts, Herman spoke a eulogy for the mouse who had shared a portion of her life with him and who, because of him, had left this earth. « What do they know–all these scholars, all these philosophers, all the leaders of the world–about such as you? They have convinced themselves that man, the worst transgressor of all the species, is the crown of creation. All other creatures were created merely to provide him with food, pelts, to be tormented, exterminated. In relation to them, all people are Nazis; for the animals it is an eternal Treblinka ».