24 mars 1896 – Publication du plaidoyer « L’amour des bêtes » d’Émile Zola en Une du Figaro

2020 – aujourd’hui, France, Militantisme

Ce plaidoyer est une déclaration d’amour aux animaux aussi bien qu’une réflexion sur les rapports, parfois tendres, souvents tendres, que nous entretenons avec eux. Émile Zola y rappelle notre capacité commune à souffrir et y dénonce l’injustice de leur sort.

Le bestiaire d’Émile Zola

Émile Zola (1840 – 1902) est un écrivain, journaliste, homme de théâtre et critique d’art français. Figure majeure de la littérature et du courant naturaliste [1], son engagement en faveur des animaux reste méconnu malgré une sensibilité qui s’est reflétée dans ses romans et tout au long de sa vie personnelle.

Zola s’est toujours entouré de nombreux animaux et son œuvre romanesque est parcourue de chats, cochons, chevaux, bœufs, loups, coqs, lapins et couleuvres qui nous parlent tout autant des humains que d’eux-mêmes, brouillant les frontières entre animalité et humanité [2]. Dans « La Bête humaine » le dix-septième volume de la série « Les Rougon-Macquart » paru en 1890, le mécanicien ferroviaire Jacques Lantier cohabite avec sa « bête » intérieure, ses pulsions meurtrières, auxquelles il n’arrivera jamais à échapper vraiment.

L’amour des bêtes

S’éloignant toutefois de la dureté de ses romans naturalistes, c’est de rapports mutuels pacifiés, de « miséricorde, de tolérance et de tendresse » qu’Émile Zola souhaite parler lorsqu’il publie, le 24 mars 1896, en Une du Figaro, un long texte en forme de déclaration d’amour aux animaux, simplement intitulé « L’amour des bêtes ».

Sujet difficile à aborder publiquement à l’époque, c’est le manque de sujet d’actualité à commenter qui décide Zola à écrire cet article particulièrement touchant et étonnant de modernité. Il craint d’ailleurs de ne pas intéresser, « d’écrire là un de ces articles neutres » qu’on a tôt fait d’oublier.

Pourquoi les bêtes sont-elles toutes de ma famille, comme les hommes, autant que les hommes ?

Émile Zola, « L’amour des bêtes », Le Figaro, 24 mars 1896

Il sera le premier stupéfait de l’important succès rencontré par son plaidoyer et du nombre de lettres de sympathie qu’il reçoit, affirmant que depuis le début de sa collaboration avec Le Figaro, c’est la première fois qu’un de ses articles soulève autant de passion. Nous sommes alors en mars 1896, deux ans avant la publication du célèbre « J’accuse… ! » [3].

Plus de deux cents lettres me sont arrivées, et non seulement de la France, mais de tous les pays du monde. Depuis bientôt six mois que je collabore à ce journal, c’est de beaucoup celui de mes articles qui a remué le plus les cœurs, qui a soulevé le plus de passion. On ne s’imagine pas l’écho que cet amour des bêtes a dans certaines âmes, et des effusions, et des supplications, et des projets de soulagement, et toute une fraternité militante. C’est en vérité prodigieux et attendrissant.

Émile Zola, « Enfin couronné » dans « Nouvelle campagne (1896) », 1897

Zola cherche à comprendre notre rapport aux animaux, « pourquoi on les aime, pourquoi on les hait, pourquoi on les néglige ». Il s’étonne que personne n’ait encore exploré ce point aveugle de notre morale, l’abandon et la cruauté que subissent les animaux venant révéler cet impensé lié « à toutes sortes de questions graves, remuant en nous le fond même de notre humanité ». Conscient de l’injustice du sort qui leur est réservé, il s’attache au commun que tous ces « êtres misérables » ont avec les humains : la capacité à souffrir, et à reconnaître la souffrance de l’autre, même la plus infime.

Pourquoi la souffrance d’une bête me bouleverse-t-elle ainsi ? Pourquoi ne puis-je supporter l’idée qu’une bête souffre, au point de me relever la nuit, l’hiver, pour m’assurer que mon chat a bien sa tasse d’eau ?

Émile Zola, « L’amour des bêtes », Le Figaro, 24 mars 1896

Utopiste en avance sur son temps, Émile Zola rêve déjà d’une extension du cercle de considération à l’ensemble de la communauté des êtres capables de souffrir. Touchant du doigt les concepts de spécisme et de sentience, il fait de la lutte contre « l’abominable souffrance » l’objectif le plus grand et le plus sage qui soit.

Et cela, simplement, au nom de la souffrance, pour tuer la souffrance, l’abominable souffrance dont vit la nature et que l’humanité devrait s’efforcer de réduire le plus possible, d’une lutte continue, la seule lutte à laquelle il serait sage de s’entêter. Des lois qui empêcheraient les hommes d’être battus, qui leur assureraient le pain quotidien, qui les uniraient dans les vastes liens d’une société universelle de protection contre eux-mêmes, de façon que la paix régnât enfin sur la terre. Et, comme pour les pauvres bêtes errantes, se mettre d’accord, tout modestement, à l’unique fin de ne pas recevoir des coups de canne et de moins souffrir.

Émile Zola, « L’amour des bêtes », Le Figaro, 24 mars 1896

La postérité

Deux mois plus tard, le 25 mai 1896, son engagement pour les animaux lui vaut un diplôme d’honneur de la Société protectrice des animaux (SPA) [4]. Dans son discours de remerciement, il réaffirme que « c’est à la souffrance qu’il faut déclarer la guerre » et constate ironiquement que son amour des bêtes lui vaut plus de gloire et d’honneur que toute son œuvre. Et pour cause, la même semaine, le 28 mai 1896, Émile Zola candidate pour la dix-septième fois à l’Académie française… et essuie son dix-septième refus [5].

Émile Zola ne sera jamais admis à l’Académie française, mais l’Histoire fera le reste. Son œuvre littéraire est aujourd’hui passée à la postérité, ainsi que cet article du Figaro du 24 mars 1896 dans lequel il se laisse aller – et tant de cœurs avec lui – à rêver d’une humanité juste envers les animaux et, peut-être, enfin réconciliée avec elle-même.

Caricature « M. Émile Zola se console dans la société des bêtes de ne pouvoir entrer dans celle des académiciens », Abel Faivre, Le Rire, 13 juin 1896.

Consulter l’édition du Figaro du 24 mars 1896 au format PDF.

Notes et références

Notes et références
1 Le naturalisme est un mouvement littéraire né dans la seconde moitié du XIXe siècle comme prolongement du réalisme. Alors que ce dernier s’attachait à décrire la réalité de la manière la plus précise possible (y compris dans ses aspects immoraux ou vulgaires) en s’appuyant sur un travail minutieux de documentation, le naturalisme ajoute des contextes physiologiques et sociaux, montrant que le milieu où vit le protagoniste est l’une des raisons de son comportement. Le naturalisme se veut être un reflet de la réalité telle qu’elle est et non telle qu’elle devrait être, en cela il s’intéresse particulièrement aux classes sociales défavorisées : paysans, ouvriers ou prostituées.
2 Ugo Batini (dir.) et Guillaume Tonning (dir.), L’animal. Auteur par auteur. Culture générale. Prépa ECE/ECS. Concours 2021, 8. Deuxième partie : Littérature, Chapitre 7. Le bestiaire naturaliste d’Émile Zola (par Émilie Muraru), ISBN 234003891X.
3  »J’accuse… ! » est un article rédigé par Émile Zola au cours de l’affaire Dreyfus et publié dans le journal L’Aurore n° 87 du 13 janvier 1898.
4 Maurice Leudet, « Les récompenses de la Société protectrice des animaux« , Le Figaro, 26 mai 1896, p. 3.
5 Paul Aron, « Les candidatures de Zola à l’Académie française : une obstination significative« , Les Cahiers naturalistes, 91, pages 281-302, 2017.