1949 – Sortie du documentaire « Le Sang des bêtes » de Georges Franju

1900 – 1949, Culture, France

Le réalisateur Georges Franju plonge le spectateur dans les coulisses des abattoirs alors situés aux portes de Paris. Il filme un réel d’ordinaire invisible, où la technique est mise au service d’une violence de masse aussi crue et insoutenable que banalisée.

Georges Franju

Georges Franju (1912 – 1987) était un réalisateur français connu pour ses courts métrages documentaires à la mise en scène froide et sans concession et son cinéma à la croisée du drame, de l’horreur (son chef-d’œuvre « Les Yeux sans visage ») et du fantastique.

Son deuxième court métrage, « Le Sang des bêtes » documente l’abattage et la boucherie des chevaux, des bovins et des moutons dans les abattoirs parisiens de Vaugirard (15e) et de la Villette (19e) dans les années d’après-guerre.

Le Sang des bêtes

Réalisé en noir et blanc dans un souci esthétique, « Le Sang des bêtes » confronte le spectateur au rituel sanglant et répétitif de la mise à mort des animaux pour la consommation humaine. Franju lui-même confia qu’il pleura pendant deux jours après le premier jour de tournage 1.

Réalisé sans artifice, « Le Sang des bêtes » oppose des scènes paisibles de la vie en banlieue parisienne (des enfants qui jouent, un couple qui s’embrasse, etc.) à des scènes d’abattage violentes et difficilement soutenables. La froideur des descriptions de l’abattage et du dépeçage des animaux reflète la tranquille conscience professionnelle des bouchers, les pieds dans des mares de sang, réduits à ce que Franju nommait les « métiers d’épouvante ».

Franju n’évoque pas les conditions de travail des ouvriers et se concentre sur la succession de gestes techniques des différents modes d’abattage 2, plongeant les spectateurs dans la routine insensible des rouages d’une industrie de la mort (quatre ans à peine après la fin de la Seconde Guerre mondiale) et suscitant des réflexions sur le rapport des sociétés à l’abattage de masse 3.

Dès sa sortie, le court métrage n’a été programmé que dans les cinémas d’art et essai (et plus tard à la Cinémathèque, dont Franju est l’un des cofondateurs 4), les distributeurs refusant d’en assurer la distribution 5.

Certes, le film est pénible. Sans doute l’accusera-t-on de sadisme parce qu’il empoigne le drame à pleines mains et ne l’élude jamais. Il nous montre les tueurs sans haine dont parle Baudelaire. Il nous montre le sacrifice des bêtes innocentes. Il arrive parfois à rejoindre la tragédie par la terrible surprise de gestes et d’attitudes que nous ignorions et en face desquels il nous pousse brutalement.

Jean Cocteau, Sur Le Sang des bêtes, Les Cahiers du Cinéma n° 149, novembre 1963.

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Notes et références

  1. Cinémathèque, Le Sang des bêtes.
  2. Hamery, Roxane. « Le Sang des bêtes : quand le documentaire absorbe la vie à l’état de traces ». Le court métrage français de 1945 à 1968, édité par Dominique Bluher et François Thomas, Presses universitaires de Rennes, 2005, https://doi.org/10.4000/books.pur.2130.
  3. Muriel Pic, En regardant le sang des bêtes, Trente-trois morceaux, 2017, ISBN: 9791093457055.
  4. CNC, La Cinémathèque française consacre une rétrospective à la poésie fantastique de Georges Franju, 8 mars 2022.
  5. Jean-André Fieschi et André-S. Labarthe, Nouvel entretien avec Georges Franju, Les Cahiers du Cinéma n° 149, novembre 1963.