16 avril 1948 – Publication de la découverte de la vitamine B12

1900 – 1949, États-Unis, Santé

Le long chemin parcouru entre la première description de la maladie mortelle dont il a finalement été montré qu’elle était causée par la carence en vitamine B12 et la découverte de cette dernière aura pris un siècle à parcourir. Nous en présentons ici les principales étapes.

Description d’une nouvelle forme d’anémie

En 1849, dans un court article intitulé « Anaemia – disease of the suprarenal capsules in which the disease is not distinctly separated from a new form of anaemia » paru dans la London Medical Gazette [1], le médecin Thomas Addison décrit pour la première fois une forme « remarquable d’anémie générale » résistante à tous les traitements connus et conduisant tôt ou tard à la mort. En 1855, en préface de son important traité « On the Constitutional and Local Effects of Disease of the Suprarenal Capsules », Addison détaille les dossiers de 11 patients décédés avec des symptômes cliniques similaires et décrit de manière plus précise une « anémie idiopathique », c’est-à-dire une anémie qui n’est ni la conséquence ni la complication d’une autre maladie.

Description des symptômes de cette forme d’anémie « pernicieuse »

En 1872, à Zurich, Anton Biermer invente le terme d’ « anémie pernicieuse » dans son article « Progressive Pernicious Anaemia » dans lequel il décrit de manière détaillée 15 cas d’anémie mortelle. Avant que s’impose le nom d’anémie pernicieuse, cette maladie est alors connue sous le nom de maladie d’Addison-Biermer. Le célèbre pathologiste allemand Paul Ehrlich identifia ensuite la présence de « mégaloblastes » (des globules rouges à noyau anormalement gros) dans la moelle osseuse de patients souffrant d’anémie pernicieuse. D’autres chercheurs ont ensuite mis en évidence d’autres symptômes presque toujours présents dans les cas d’anémie pernicieuse : picotements, engourdissements, démyélinisation de la moelle épinière, lésions glandulaires, atrophie des tissus de l’estomac, etc.

Interventions alimentaires pour trouver un remède

Le 14 août 1926, à la suite de travaux de George Whipple sur des chiens ayant montré que le foie cru et les extraits de foie étaient plus efficaces que le foie cuit pour stimuler l’hématopoïèse (la production des cellules sanguines), George Richards Minot et William Murphy publient leur article fondateur « Treatment of pernicious anemia by a special diet » [2] dans lequel ils démontrent que les patients atteints d’anémie pernicieuse peuvent être maintenus en rémission en suivant un régime spécial contenant une abondance de foie et de muscle légèrement cuits.

Le régime spécial comprenait :

  • De 120 à 240 g, voire plus, de foie de veau ou de bœuf
  • 120 g, voire plus, de muscle de bœuf ou de mouton

L’état des patients suivant ce régime s’améliorait en deux semaines et ces derniers restait en bonne santé pendant au moins un an après l’avoir arrêté. D’autres avant eux avaient déjà proposé des recommandations alimentaires contre l’anémie pernicieuse, mais ils furent les premiers à évoquer l’idée que cette maladie pourrait être causée par une carence en vitamine due à une possible déficience d’absorption par l’organisme.

Durant l’année qui suivi la publication de leur article, le régime spécial de Minot et Murphy a été prescrit avec succès par de nombreux médecins, mais la consommation quotidienne d’une telle quantité de foie ou de jus de foie cru était très difficile pour de nombreux patients, voire impossible pour certains.

Lancement d’un traitement médical

Pour résoudre ce problème, l’équipe de Minot et Murphy travaille à Harvard sur un extrait concentré de foie qui se révèle efficace. Dès 1928, le Royaume-Uni propose un extrait de foie concentré dans les hôpitaux. Aux États-Unis, des extraits hautement purifiés qui conviennent pour les traitements par injection sont commercialisés par le laboratoire Eli Lilly and Company en 1932.

Identification d’un « facteur intrinsèque » dans l’estomac

Au début des années 1930, William Castle décrit l’anémie pernicieuse comme un « déficit conditionnel » d’acide chlorhydrique dans le liquide gastrique. Cela confirme l’idée de Minot et Murphy comme quoi la maladie découle bien d’une carence qui n’est pas d’origine alimentaire mais qui résulte d’une incapacité à bien assimiler un ou plusieurs nutriments en raison d’un facteur manquant dans l’estomac des patients. Castle désigna l’alimentation comme « facteur extrinsèque » et le facteur de l’estomac comme « facteur intrinsèque ». Castle découvrira bien plus tard que le facteur intrinsèque est une glycoprotéine qui peut se fixer à la vitamine B12 pour permettre son absorption par l’organisme dans l’iléon (la troisième partie de l’intestin grêle).

Isolation, cristallisation et synthèse de la composante « extrinsèque » de l’alimentation : la vitamine B12

L’absence de facteur intrinsèque dans l’estomac des patients ayant été identifiée comme cause de l’anémie pernicieuse, de nombreuses recherches ont alors tentées d’identifier le composé du foie cru si efficace contre cette maladie. Cela a finalement été réalisé par deux équipes presque simultanément :

  • L’équipe de Karl Folkers du laboratoire Merck
  • Puis par l’équipe de Lester Smith du laboratoire Glaxo

C’est le 11 décembre 1947 que l’équipe de Karl Folkers parviendra à cristalliser ce facteur extrinsèque anti-anémie pernicieuse [3]. Le 16 avril 1948, dans leur publication « Crystalline Vitamin B12 » [4], ils lui donneront le nom de vitamine B12.

Les premières cultures bactériennes de vitamine B12 sont réalisées par l’équipe d’Edward Rickes au sein du laboratoire Merck dès l’année 1948 et de la vitamine B12 d’origine bactérienne ne tarda pas à être commercialisée.

En France, la plus ancienne autorisation de mise sur le marché de vitamine B12 d’origine bactérienne est enregistrée en 1955 pour la marque Delagrange. La complémentation en vitamine B12 était donc possible en France dès cette date (voire quelques années plus tôt si l’on faisait importer de la vitamine B12 de l’étranger).

Observation de l’anémie pernicieuse chez les véganes

Le 1er septembre 1955, Frank Wokes publie dans l’American Journal of Clinical Nutrition l’article « Human dietary deficiency of vitamin B12 » [5] dans lequel il décrit au sein de la population végane plusieurs symptômes qu’il associe à la carence en vitamine B12 : des troubles neurologiques (picotements, engourdissements, etc.) et hématologiques (anémie pernicieuse), une aménorrhée, des douleurs dorsales, des irritations de la langue, etc. De plus, il observe que la prévalence et la sévérité des symptômes augmentent corrélativement avec la durée de l’adoption d’une alimentation entièrement végétale (de quelques mois à 15 ans), bien qu’environ les trois quarts des véganes étudiés ne présentent aucun symptôme.

Depuis cette publication, de nombreux autres travaux ont réaffirmé le besoin de complémentation en vitamine B12 chez les personnes ne consommant pas (ou que très peu) de chair animale.

Mais la recherche sur la vitamine B12 ne s’est pas arrêtée là…

Détermination de la composition et de la structure de la vitamine B12

Le défi suivant dans la compréhension de la vitamine B12 consistait à déterminer sa composition et sa structure. L’analyse élémentaire fut achevée en 1954 et sa structure, très complexe, fut définitivement élucidée au début des années 1960 par l’équipe de cristallographie aux rayons X de Dorothy Hodgkin à Oxford. Dorothy Hodgkin obtiendra le prix Nobel de chimie en 1964 pour ses travaux [6].

Synthèse chimique totale de la vitamine B12

En 1972, après 12 années de travail, la synthèse chimique totale de cette vitamine fut réalisée par Robert Burns Woodward, Albert Eschenmoser et un collectif de plus de 100 chercheurs de 19 nationalités. Avec une centaine d’étapes, cette synthèse se révèle être extrêmement complexe et coûteuse, si bien qu’une production industrielle rentable n’est pas envisageable. De ce fait, la production de vitamine B12 est toujours, de nos jours, réalisée à partir de cultures bactériennes sélectionnées.

Les autres rôles de la vitamine B12 dans l’organisme

Depuis les années 70, des recherches ont montré que la vitamine B12 joue différents rôles chez l’humain et les bactéries, et de nombreux mécanismes dans lesquels elle est impliquée sont encore mal compris. Par ailleurs, ce n’est que le 22 mars 2007 qu’une équipe de chercheurs du MIT et de la Harvard Medical School menée par Graham Walker est parvenue à expliquer la dernière étape qui restait incomprise dans la synthèse de la vitamine B12 par des micro-organismes [7]. Aujourd’hui, la recherche continue, et la vitamine B12 est encore loin d’avoir livré tous ses secrets.

Notes et références

Notes et références
1 Pearce JM. Thomas Addison (1793-1860). J R Soc Med. 2004;97(6):297-300. doi:10.1258/jrsm.97.6.297
2 Minot GR, Murphy WP. Treatment of pernicious anemia by a special diet. 1926. Yale J Biol Med. 2001;74(5):341-353.
3 B. Zagalak, W. Friedrich, Vitamin B12: Proceedings of the 3rd European Symposium on Vitamin B12 and Intrinsic Factor, University of Zurich, March 5–8, 1979, Zurich, Switzerland, p. 7, ISBN 9783111510828
4 Rickes EL, Brink NG, Koniuszy FR, Wood TR, Folkers K. Crystalline Vitamin B12. Science. 1948 Apr 16;107(2781):396-7. doi: 10.1126/science.107.2781.396. PMID: 17783930.
5 FRANK WOKES, J. BADENOCH, H. M. SINCLAIR, Human Dietary Deficiency of Vitamin B12, The American Journal of Clinical Nutrition, Volume 3, Issue 5, September-October 1955, Pages 375–382.
6 The Nobel Prize, The Nobel Prize in Chemistry 1964.
7 Taga ME, Larsen NA, Howard-Jones AR, Walsh CT, Walker GC. BluB cannibalizes flavin to form the lower ligand of vitamin B12. Nature. 2007 Mar 22;446(7134):449-53. doi: 10.1038/nature05611. PMID: 17377583; PMCID: PMC2770582.