Quelle ambivalence plus grande que celle du paradoxe de la viande ? Nous aimons les animaux et pourtant nous les mangeons.
Le paradoxe
Le « paradoxe de la viande » est un phénomène étudié en psychologie qui renvoie à la contradiction apparente entre, d’un côté, aimer manger de la viande et, de l’autre, désapprouver de faire souffrir et tuer des animaux.
L’expression apparaît pour la première fois dans l’article « The role of meat consumption in the denial of moral status and mind to meat animals » [1] des psychologues Steve Loughnan, Nick Haslam et Brock Bastian, paru en 2010 dans la revue Appetite.
Un cas d’école de dissonance cognitive
Le paradoxe de la viande s’étudie principalement sous l’angle d’un phénomène psychologique aujourd’hui bien connu : la dissonance cognitive. Formulé pour la première fois par le psychologue Leon Festinger dans son ouvrage « A theory of cognitive dissonance » paru en 1957, ce concept désigne l’inconfort psychologique ressenti par une personne lorsque des pensées, des actions, des croyances ou des émotions entrent en contradiction les unes avec les autres.
La citation qui ouvre l’article de Loughnan, Haslam et Bastian le rappelle : « La viande devrait présenter un intérêt particulier pour les psychologues car elle est l’exemple par excellence de l’importance de l’état qu’est l’ambivalence », c’est-à-dire de la disposition à la simultanéité de deux sentiments ou de deux comportements opposés [2]. En effet, quelle ambivalence plus grande que celle du paradoxe de la viande ? Nous aimons les animaux et pourtant nous les mangeons.
Quels impact sur nos perceptions ?
Il nous est désagréable de voir ou de savoir que des animaux souffrent. Pour limiter ou mettre fin à l’inconfort ressenti lorsqu’on « voit son steak comme un animal mort » [3], nous devons arbitrer entre, au choix : arrêter de consommer de la viande ou rejeter les informations sur la capacité des animaux à souffrir et la préoccupation morale qui en découle.
Dans la publication de Loughnan, Haslam et Bastian, le fait de manger de la viande entraîne des conséquences sur la manière dont sont perçus les autres animaux. En effet, plus une personne mange de la viande et moins elle est susceptible de faire preuve de préoccupation morale envers les animaux et de reconnaître leur capacité à souffrir. D’autres travaux ont depuis montré un lien entre consommation de viande, valorisation de la masculinité et justification de différentes inégalités sociales [4]. Minorer les causes ou les conséquences d’une injustice semble, par contagion, s’étendre à notre perception de toutes les autres injustices.
Le fait que presque tout le monde consomme encore de la viande nous informe qu’il est plus facile de changer ses perceptions que ses actes, mais les personnes végétariennes ou véganes ont déjà toutes eu l’occasion de constater (souvent par des signes d’hostilité) que leur simple présence peut suffire à remettre en cause cette stratégie de désengagement moral.
Cliquez-ici pour consulter l’article « The role of meat consumption in the denial of moral status and mind to meat animals » au format PDF.
Notes et références
↵1 | Steve Loughnan, Nick Haslam, Brock Bastian, The role of meat consumption in the denial of moral status and mind to meat animals, Appetite, Volume 55, Issue 1, 2010, Pages 156-159. |
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↵2 | CNRTL, Ambivalence. |
↵3 | Martin Gibert, Voir son steak comme un animal mort, Lux éditions, 2015. |
↵4 | Loughnan, S., Bastian, B., & Haslam, N. (2014). The Psychology of Eating Animals. Current Directions in Psychological Science, 23(2), 104–108. |