Isaac Bashevis Singer est un écrivain juif polonais né en juillet 1904 à Leoncin sur le territoire polonais sous occupation russe et décédé le 24 juillet 1991 à Surfside en Floride aux États-Unis. Auteur de romans en yiddish [1], il est lauréat du prix Nobel de littérature en 1978 pour « son art de conteur enthousiaste qui prend racine dans la culture et les traditions judéo-polonaises et redonne son universalité à la condition humaine » [2].
Le Certificat (דער סרטיפיקט), traduit et publié en anglais en 1992, a d’abord été publié en yiddish sous forme de feuilleton dans l’hebdomadaire new-yorkais The Forward en 1967 [3]. En partie autobiographique, il se déroule à Varsovie à la fin de l’hiver 1922 et compte l’histoire de David, un jeune écrivain yiddish pauvre qui souhaite émigrer de Pologne en Palestine. La préférence étant donnée aux couples mariés, David tente de faire en sorte qu’un certificat de mariage lui soit acheté par une femme riche dont le fiancé vit en Palestine. Le récit traite de la grande pauvreté de David, de sa fragilité, de son héritage juif et décrit en détail la montée du communisme et du sionisme.
Auteur prolifique profondément marqué par les crimes du nazisme [4], défenseur passionné du végétarisme et du droit des animaux à vivre « en paix », Isaac Bashevis Singer consacrera la plupart de ses écrits ultérieurs à des survivants de l’Holocauste dont les histoires détaillées viennent révéler certains des mécanismes qui ont rendus possible le génocide juif et qu’on retrouve à l’œuvre dans toutes les exploitations et massacres, y compris celui des animaux.
Bien que Le Certificat ne traite pas directement de l’exploitation de ces derniers, il questionne la séparation occidentale radicale entre l’humain et l’animal et l’implication de cette séparation dans l’élaboration d’une logique de l’abattoir. Loin de chercher à instrumentaliser la Shoah, cette comparaison qui met en équivalence l’extermination des Juifs d’Europe et le traitement réservé aux animaux vise à éclairer sur l’origine de cette violence où les techniques industrielles de mise à mort se retrouvent appliquées à des animaux puis à des groupes humains selon des moyens et une rationalité commune.
Dans ce passage resté célèbre, l’oraison funèbre d’une souris, le personnage d’Herman fait le parallèle entre les rapports qu’entretiennent victimes et bourreaux dans un abattoir et dans le camp d’extermination de Treblinka, deux systèmes de mise à mort dont l’existence a été (et est encore dans le cas de l’exploitation animale) justifiée par un ensemble de croyances dont la clé de voûte est la conviction d’un droit « naturel » à une domination totale sur autrui.
En pensée, Herman prononça l’oraison funèbre de la souris qui avait partagé une partie de sa vie avec lui et qui, à cause de lui, avait quitté ce monde. « Que savent-ils, tous ces érudits, tous ces philosophes, tous les dirigeants de la planète, que savent-ils de quelqu’un comme toi ? Ils se sont persuadés que l’Homme, l’espèce la plus pécheresse d’entre toutes, est au sommet de la création. Que toutes les autres créatures n’auraient été créées que pour lui procurer de la nourriture, des peaux, pour être martyrisées, exterminées. Pour ces créatures, tous les humains sont des nazis ; pour les animaux, c’est un éternel Treblinka ».
Isaac Bashevis Singer, Le certificat, 1992 [5]
Notes et références
↵1 | Une langue dérivée de l’allemand, avec un apport de vocabulaire hébreu et slave, qui a été largement utilisée par les communautés juives d’Europe centrale et orientale (ashkénazes) à partir du Moyen Âge et jusqu’à la seconde guerre mondiale. |
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↵2 | The Nobel Foundation, The Nobel Prize in Literature 1978. |
↵3 | Isaac Bashevis Singer avait alors 63 ans et il est fort probable qu’il ait en réalité été écrit bien plus tôt. The New York Times, December 7, 1992, Monday, Late Edition, Christopher Lehmann-Haupt, Books of The Times; On Becoming a Writer and a Man. |
↵4 | Face à la montée du nazisme, Isaac Bashevis Singer a dû émigrer aux États-Unis en 1935. Sa mère et plusieurs membres de sa famille, restés en Pologne, seront tués dans les camps de concentration. |
↵5 | Texte original : In his thoughts, Herman spoke a eulogy for the mouse who had shared a portion of her life with him and who, because of him, had left this earth. « What do they know–all these scholars, all these philosophers, all the leaders of the world–about such as you? They have convinced themselves that man, the worst transgressor of all the species, is the crown of creation. All other creatures were created merely to provide him with food, pelts, to be tormented, exterminated. In relation to them, all people are Nazis; for the animals it is an eternal Treblinka ». |