Le naturaliste Linné observe que tous les êtres vivants ont, à des degrés divers, des structures communes et un fonctionnement commun. Dans la dixième édition de son « Systema naturæ » parue en 1758, il prend acte de ces similitudes physiques et classe les humains dans l’ordre des Primates, aux côtés des singes, des lémuriens et des chauves-souris. Il officialise ainsi les liens de parentés entre tous les humanoïdes.
Présentation
Carl Linnæus (1707 – 1778), connu sous le nom de Carl von Linné [1], est un naturaliste suédois qui a systématisé et popularisé la nomenclature binominale pour le classement des espèces. Chaque espèce y est désignée par son genre et par une épithète spécifique, par exemple « Homo sapiens » pour l’humain, « Canis lupus » pour le loup, etc. Depuis Linné, cette terminologie fait office de langage commun et est aujourd’hui devenue la nomenclature standard.
Bien que Linné ait d’abord exposé sa méthode dans la première édition de « Systema naturæ » (Système de la nature) [2], un opuscule de 11 pages rédigé en latin qui paraît à Leyde aux Pays-Bas en 1735, c’est avec sa dixième édition [3], publiée en deux volumes en 1758 et 1759 à Stockholm, que commence l’histoire naturelle de l’Homme.
Après les plantes dans sa publication « Species Plantarum » en 1753 [4], Linné y systématise, avec l’aide de son réseau de correspondants, la première classification scientifique du vivant ; répertoriant, nommant et classant l’essentiel des espèces vivantes connues à son époque. [5]. Les espèces animales sont alors réparties en six grandes classes (quadrupèdes, oiseaux, amphibiens, poissons, insectes et vers) établies selon des caractères anatomiques (dents, becs, nageoires ou ailes).
L’Homo sapiens [6] de Linné se distingue des grands singes (Homo sylvestris) par des caractéristiques psychologiques et sociologiques plutôt que corporelles. Selon l’ordre anatomique, observe Linné, tous les êtres vivants ont, à des degrés divers, des structures communes et un fonctionnement commun. Acte décisif, les humains (genre Homo) y figurent parmi les Mammifères (pour leurs mamelles) et dans l’ordre des Primates (pour leur dentition) aux côtés des singes (genre Simia), des lémuriens (genre Lemur) et des chauves-souris (genre Vespertilio) [7]. Bien que l’humain constitue un genre (Homo) à lui seul, lequel ne contient qu’une seule espèce (Homo sapiens), Linné officialise, au grand dam de ses contemporains, les liens de parentés entre tous les humanoïdes.
Cette proximité anatomique était déjà connue depuis Galien (environ 130-200 après J.-C.) dont on sait que son modèle d’anatomie humaine était en réalité basé sur des dissections de macaques. Mais cette proximité était alors comprise comme une simple ressemblance et non comme une parenté au sens propre du terme. Une distinction radicale entre l’humain et l’animal était donc préservée, aussi bien chez des auteurs non religieux que chez des auteurs religieux [8].
Au cours du XVIIIe siècle, les premières formes de l’évolutionnisme se précisent et la ressemblance anatomique entre l’humain et le singe va devenir le signe d’une véritable parenté, une appartenance à une même famille animale dont les membres sont plus ou moins directement reliés par les générations. Assez curieusement, plus l’évolutionnisme va progresser et une vraie parenté s’affirmer entre le singe et l’humain, plus la taxonomie va avoir tendance à les séparer. Ainsi, alors que chez Linné l’humain et le singe sont réunis dans le même ordre des Primates, Cuvier va les séparer en 1816 en classant l’humain dans l’ordre des Bimanes et le singe dans celui des Quadrumanes [9].
Quelques décennies plus tard viendra Darwin et, avec lui, de nouvelles (et croissantes) incertitudes sur l’existence d’un « propre de l’Homme ».
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Notes et références
↵1 | En 1761, Carl Linnæus est célèbre mondialement et est le médecin officiel de la famille royale de Suède. Il est anobli et prend en 1762 le nom de « Carl von Linné », Linné étant un diminutif de Linnæus « à la française » selon la mode de l’époque et « von » étant la particule nobiliaire germanique. |
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↵2 | »Systema naturæ, sive regna tria naturæ systematice proposita per classes, ordines, genera, & species », en français « Système de la nature, ou les trois règnes de la nature sont divisés systématiquement en classes, ordres, genres et espèces », 1735, voir en PDF. |
↵3 | »Systema naturæ per regna tria naturæ, secundum classes, ordines, genera, species, cum characteribus, differentiis, synonymis, locis », en français « Système de la nature, en trois règnes de la Nature, divisés en classes, ordres, genres et espèces, avec les caractères, les différences, les synonymes et les localisations », voir en PDF. |
↵4 | Species Plantarum, Linné, 1753, Voir en PDF. |
↵5 | Jusqu’à la parution du troisième volume de la 13e édition en 1793, cette classification sera constamment revue et augmentée. |
↵6 | La classification de Linné a très mal vieillie sur certains points, comme sur la division d’Homo sapiens en six variétés : quatre, sur la base de la couleur de la peau (le blanc européen, le rouge américain, le jaune asiatique et le noir africain) à laquelle correspondent des différences dans les mœurs, dans les tempéraments (la colère, la mélancolie, etc.) et dans les principes qui les guident (l’habitude, les rites, les opinions, etc.) ; l’Homo ferus, à savoir les enfants sauvages retrouvés à différents moments dans les bois européens, et l’Homo monstruosus dont la condition découle de la nature (les géants, les nains, etc.) ou de l’art, comme les Hottentots ou les femmes européennes soumises aux corsets. |
↵7 | Linnæus, C. 1758. Systema naturæ per regna tria naturæ, secundum classes, ordines, genera, species, cum characteribus, differentiis, synonymis, locis. Tomus I. Editio decima, reformata. – pp. [1–4], 1–824. Holmiæ. (Salvius), p. 18 |
↵8 | Les travaux de Linné étaient fondés sur des certitudes religieuses immuables : fixité des espèces, nombre fini de créations divines, etc. |
↵9 | G. Cuvier, « Le règne animal : distribué d’après son organisation, pour servir de base à l’histoire naturelle des animaux, et d’introduction a l’anatomie comparée », op. cit., vol. 1, p. 81-82, 1816 |